C’est quoi le sens et le rôle de la démocratie
La démocratie n’est pas seulement un système de direction communautaire par des décisions prises à la majorité. Elle est aussi un système qui permet de contredire le pouvoir ; de contester des décisions ; de protester contre ses actions. Le dialogue fondamental de la démocratie, c’est celui du pouvoir et de l’opposition.
Les définitions étant libres, l’on peut certes entendre comme on veut le mot «opposition». Pour préciser le sens dans lequel nous allons le prendre et qui est à peu près conforme au sens courant, nous allons tout de même lui apporter certaines précisions.
Ce que l’opposition n’est pas.
L’opposition se distingue du simple désaccord individuel. L’opposition, a un caractère collectif. Pour qu’il existe une opposition, il ne suffit pas qu’un certain nombre de citoyens se sentent isolement en désaccord avec le pouvoir. L’opposition n’existe pas si désaccord avec minimum de traits collectifs. Sans ses traits collectifs, il peut bien y avoir des opposants, mais non pas une opposition. Ce caractère collectif de l’opposition doit s’entendre à deux points de vue.
D’abord, il faut que les oppositions eux-mêmes agissent selon un certain concert. Cela ne dit pas que toute l’opposition se structure et s’organise dans un parti ou une ligne, mais il faut qu’il existe quelques contacts entre eux.
D’autre part, le caractère collectif de l’opposition s’entend quant aux destinataires de celle-ci. Il ne suffit pas que le l’opposant proteste pour lui-même ou pour une cercle confidentiel ; il faut encore qu’il porte son opposition sur la place publique ; qu’il mène une action sur le public. Suivant les cas, c’est au parlement, c’est par la presse, c’est par existence et le fonctionnement d’un parti politique que l’opposition agira. Et si elle est interdite, elle est amenée à se transformer par la pratique de l’illégalité et de la clandestinité. L’opposition se distingue du désaccord non politique.
L’opposition est essentiellement politique. Il parait utile de distinguer les phénomènes de désapprobation et de lutte contre le pouvoir qui sont menées sur le terrain politique. Par exemple, la résistance des chauffeurs à la politique gouvernementale de taxation des prix de carburant ne constitue pas à proprement parler une opposition. Elle se limite, en effet, au terrain technique et professionnel et ne met pas en cause un minimum de vision globale des problèmes qui seraient précisément politique.
En d’autre terme, l’opposition, si l’on veut donner à ce mot un sens spécifique, suppose que les opposants ont globalisé les problèmes qui se posent, les ont portés à un certain degré de généralité et les jugent d’après des critères qui ne sont plus seulement techniques, professionnels, spécialisés, mais politiques. Le «le refus» n’est pas nécessairement une opposition ; c’est la politisation du refus qui engendre le phénomène d’opposition. Sans doute la frontière entre le désaccord non politique et l’opposition est difficile à tracer.
Le refus sur le terrain professionnel ou technique, d’un ensemble de décisions gouvernementales peut bien être un germe d’opposition, peut bien nourrir l’opposition, mais tant qu’il ne s’est pas épanoui dans une synthèse plus générale dans une conclusion touchant la conduite globale de la société, il n’est pas encore opposition.
L’opposition se distingue de la résistance dans un pays où les libertés publiques existent, l’opposition se déploie normalement dans un cadre de la légalité. Mais elle peut être amenée à sortir de ce cadre pour des raisons diverses. La première de ces raisons peut être que l’opposition désespère de triompher par des voies légales et qu’elle préfère tout simplement utiliser le chemin des minorités agissantes et de la violence.
La seconde hypothèse est celle où le cadre légal offert aux opposants est trop restreint, ou encore tout simplement où il n’existe pas de possibilité de faire de l’opposition légale. En ce cas, les opposants recouvrent à des moyens de résistance. En somme, l’opposition sort de la légalité soit parce que la légalité est tellement restreinte qu’elle ne peut s’y loger, soit parce que, bien que la légalité soit assez vaste, elle ne pense pas y trouver un champ de bataille assez favorable. Ainsi l’opposition devient une résistance et cette résistance elle-même est susceptible de revêtir deux modalités. Il y a d’abord la résistance non violente, la résistance passive, ouverte ou larvée allant tout au plus jusqu’à la désobéissance. Ainsi, lorsqu’un peuple brimé n’oppose pas une résistance violente, mais procède à l’abandon des divers instruments de travail, adopte une sorte de grève généralement et, en plus, une passivité totale de la population, on est bien en résistance larvée. On peut évoquer aussi la tactique suivie par Gandhi, aux Indes, pour contrecarrer la domination britannique. L’autre forme, c’est naturellement la résistance active par des moyens de violence. Quant elle atteint une certaine généralité et une certaine efficacité, elle dégénère en émeute, phénomène passager ; en rébellion ou en révolte, phénomène plus permanant.
Définition : Ainsi nous entendons par opposition, au sens précis du mot une organisation collective dirigée contre les détenteurs du pouvoir et contre leur action, ayant pour base une motivation politique et utilisant en principe des moyens légaux.
L’opposition-fonction
A un certain stade de développement, l’opposition peut être considérée comme une fonction aussi indispensable à l’Etat et à la société que le pouvoir lui-même. Dans cette conception, le pouvoir et l’opposition sont deux activités également utiles et nécessaires à la vie de la nation.
Au fond, la conception de l’opposition comme un simple droit est, en fait, un pis-aller. L’on est obligé de tolérer l’opposition et on sous-entend que l’unanimité serait meilleure. Paradoxalement, la reconnaissance de l’opposition comme une fonction repose sur l’idée qu’une unanimité constante et totale serait en elle-même une mauvaise chose et qu’une vie sociale saine est faite d’un certain désaccord, d’un certain déséquilibre, tout comme le progrès économique est bâti sur certains déséquilibres dynamiques. Donc, dans cette conception, le statut de l’opposition ne doit pas seulement assurer la liberté de celle-ci mais également son efficacité.
Les fonctions de l’opposition
Après cette brève description de l’opposition, précisons maintenant les fonctions de l’opposition.
L’opposition est garante de l’authenticité de la majorité.
La volonté de la majorité est valable et respectable que dans la mesure où elle s’exerce avec un minimum de lumière et de liberté. Le consentement doit être donné sans «contrainte ni séduction». Si l’on préfère une formule plus simple, on dirait : ce qui est exagéré ne compte pas. De trop belles majorités font finalement supposer un assentiment moins clair, moins libre et moins valable que des majorités plus faibles. Que la droite l’emporte sur la gauche ou inversement à quelques milliers de voix après que la lutte entre deux candidats ait été disputée jusqu’au dernier dépouillement, sont des phénomènes rassurants. L’annonce d’une majorité de 99,99% à un candidat ou à un parti ferait crier au truquage.
En général, il n’est pas rassurant pour une nation qu’elle soit constamment en accord sur la direction à suivre. Les grandes sottises se font volontiers à l’unanimité.
L’opposition garantit la publicité des processus des décisions.
Le rôle de l’opposition n’est pas de paralyser la majorité. La plus efficace opposition du monde, l’opposition Britannique, n’a jamais empêché la majorité de faire passer une loi à laquelle elle tenait.
Mais la publicité évite souvent des décisions passionnelles ou déloyales. Tel acte politique qui pourrait être décidé dans le décret ne pourra pas être publiquement décidé.
L’opposition oblige la majorité à une discussion publique. Un gouvernement d’opinion suppose nécessairement une opposition, non parce qu’elle peut par sa force numérique, empêcher la majorité de faire ce qu’elle veut, mais parce qu’elle oblige, par ses objections, à énoncer ce qui va être fait, et bien souvent tel dessein qui aurait dû être conduit à son terme dans l’obscurité, échoue au grand jour.
L’opposition éclaire le gouvernement.
Le pouvoir est toujours plus ou moins une solitude. L’information d’un gouvernement est toujours unilatérale : la pratique de mise à mort des messagers porteurs de mauvaises nouvelles des tyrannies antiques se fait tous les jours. Un Préfet, quand il prévoit les résultats électoraux pour les élections prochaines, sait très bien qu’on lui saura gré d’avoir prévu des résultats faux mais favorables au gouvernement que des résultats exact mais défavorables à celui-ci.
Au surplus, le pouvoir le plus loyal est assez vite conduit par des partis-pris inconscients. Il forge ses propres mythes, sa propre vision de la nation et des événements. Dans sa sagesse, l’Eglise catholique veut que dans tout procès de canonisation, il y ait un «avocat du diable» qui fasse valoir des arguments contre la canonisation. Il faut de même un avocat du diable auprès du gouvernement. Tel dirigeant, après avoir entendu les critiques énoncées sur sa politique, après les avoir réfutés brillamment et déclarés qu’il n’en tiendra aucun compte, modèle son action sur ce qu’il a appris de ses propres adversaires, dans le silence de son cabinet.
L’opposition fournit des solutions de rechange.
Plus une opposition est structurée, plus elle est installée dans les institutions, et plus elle est obligée de se constituer en gouvernement possible, en gouvernement qui peut être mis au pied du mur du jour au lendemain. On sait qu’il existe dans le système politique britannique ce qu’on appelle le ‘‘SHADOW CABINET’’, le cabinet des ombres, face au gouvernement en place. L’opposition a, en veilleuse, son propre gouvernement qui fait face aux hommes du gouvernement et qui demain leur succédera si l’électeur donne tort au parti majoritaire. Aussi, quand le pouvoir est à sa fin par la mort ou par l’échec, la solution de rechange existe.
Jouer un coup sur une seule carte ou, comme l’on dit dans la pensée africaine, mettre tous ses œufs dans le même panier, n’est pas meilleur pour une nation que pour un individu. Dans un pays monolithique, où il n’existerait pas d’opposition fuse toujours une allusion à la panique. Cette crainte est provoquée par le sentiment que, derrière le dictateur, il risque n’y avoir plus rien. Qui n’a pas suivi la question suivante : « que deviendra la Chine après Mao » ? il pensait ainsi au désordre qui pouvait suivre la mort du dictateur.
L’opposition, c’est à la fois un élément de confiance dans les institutions et l’économie des révolutions inutiles.
L’opposition, garantie de l’unanimité
Cette formule est exacte et n’a rien de paradoxale. Il en est ainsi quand la nation doit s’engager toute entière définitivement et sans réticence. L’opposition, si elle est structurée peut, en rejoignant la majorité, donner les garanties les plus solides. C’est par exemple dans les relations bilatérales où les pays étrangers qui sont amenés à traiter à long terme avec une nation, veulent savoir que sur ce point-là, l’opinion est unanime et que les vicissitudes gouvernementales ou électorales ne changeraient pas l’orientation fondamentales : unanimité médiate. Mais même si l’unanimité n’est pas réalisée sur les solutions, la reconnaissance de l’opposition comme institution signifie l’unanimité nationale.
Qu’une opposition structurée et institutionnalisée existe, ceci signifie que les citoyens peuvent être en désaccord sur tout, mais qu’ils sont d’accord sur ce point… c’est que ce désaccord ne les amènera pas à se séparer, que les minoritaires préfèrent toujours suivre les solutions de la majorité qui ne sont point les leurs que faire sécession ou imposer leurs propres solutions par la violence. Les majoritaires, de leur côté, sont d’accord pour s’incliner si l’opinion, dans l’arbitrage qui sera rendu aux élections suivantes, leur est défavorable. Tout souffrir l’un de l’autre plutôt que de se séparer, c’est le secret de l’unanimité nationale. C’est l’unanimité médiate, comme disait lièyès, lorsqu’il faisait remarquer que le Vaté à la majorité peut très bien ne pas traduire une unanimité ‘‘immédiate’’, mais qu’au fond puisqu’on est d’accord pour s’en remettre à la règle de la majorité, c’est que l’on est profondément UNANIME.
NYASSI David
Observateur des élections.